La réforme des pensions, un projet ambitieux, innovant et tourné vers le futur
Il y a quelques jours, j’ai été fort étonné de lire, dans les pages de l’Echo, les propos de Frank Vandebroucke et je me suis un moment demandé si leur auteur était l’éminent professeur d'université et président du Conseil académique des Pensions ou s’il s’agissait de l'homme politique socialiste.
De façon quelque peu rhétorique, Frank Vandenbroucke se demandait si le débat sur la réforme des pensions allait pouvoir commencer. Je tiens à le rassurer. Non seulement le débat a commencé depuis mon entrée en fonction et se poursuit aujourd’hui mais plusieurs points essentiels de la réforme ont d’ores et déjà été engrangés et d’autres sont en phase de finalisation. Je ne vais pas tous les citer mais notons que le relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans est inscrit dans la loi. Les pensions minimum ont été augmentées à raison de 90 € par mois pour les salariés et de 150 € par mois pour les indépendants[1]. Les pensionnés âgés de 65 ans ou qui ont une carrière de 45 ans peuvent désormais, s’ils le désirent, travailler sans limites de revenus. Le Comité National des Pensions chargé d’examiner les grandes réformes structurelles (pension à points, prise en compte de la pénibilité, modernisation de la dimension familiale,…) a été mis sur pied et travaille efficacement. L’accord du G10 relatif aux pensions complémentaires, en ce compris le volet portant sur la garantie de rendement, a été exécuté par l’adoption d’une loi au parlement. Le projet de loi permettant l’octroi d’une pension complémentaire aux contractuels de la fonction publique sera prochainement soumis à l’approbation de la Chambre. Le site MyPension.be est opérationnel. Les grands services des pensions ont été fusionnés. La mesure du rachat des années d’études est sur les rails. Etc.
Frank Vandenbroucke salue le relèvement de l’âge légal de la pension, mesure phare de la commission de réforme des pensions 2020-2040, mais m’objecte que, faute d’un consensus unanime, cette décision pourrait être détricotée par un gouvernement ultérieur en 2019 ou en 2024. Me voici donc comptable de l’action des futurs gouvernements ! Certes, cette décision n’a pas été facile à porter mais, même si tout est toujours possible en ce bas monde et même si le PS a promis sa suppression en cas de retour au pouvoir, j’ose croire qu’on ne reviendra pas sur cet acquis vu qu’il s’agit typiquement du genre de mesures nécessaires que ce parti dénonce quand il est dans l’opposition mais qu’il se garde bien de supprimer quand il est aux affaires.
Pour le reste, Monsieur Vandenbroucke considère que la politique des pensions serait devenue une « succession d’annonces ou d’initiatives où manquent la vue d’ensemble et la cohérence ». Je réponds que, de manière générale, les annonces et autres stratégies déclaratoires sont une spécialité des partis d’opposition au gouvernement fédéral et que, dans cet exercice, ils ont atteint un tel niveau de virtuosité qu’il me semblerait immodeste de prétendre les surclasser sur ce point. Plus sérieusement, son opinion va à l’encontre de l’avis de tous les observateurs, notamment internationaux. Quand l’OCDE indique que la Belgique est un pays « top reformer » grâce, notamment, aux réformes de son système de pension, je me dis que nous ne travaillons pas si mal.
Qu’en est-il de la cohérence de notre politique ? Ce qui l’anime fondamentalement, c’est la réaffirmation de la valeur travail. Dans quel but ? Pour renforcer le lien entre le travail presté et le montant de la pension ainsi que pour garantir la soutenabilité financière et sociale de notre régime de pension. En effet, le gouvernement fédéral a fait de la réforme du système des pensions l’une de ses priorités car, osons le dire, le système dont il a hérité en début de législature n’était plus, en l’état, économiquement viable sur le long terme. En réalité, c’est l’existence même de notre modèle social qui était menacée. Nous sommes en train de renflouer le navire de la sécurité sociale. Nos mesures visent également, au nom de l’équité, à réaliser une harmonisation progressive entre les différents régimes de pension (salariés, fonctionnaires, indépendants). Au final, il s’agit avant tout d’une question de justice : justice entre les bénéficiaires des différents régimes de pension, justice des travailleurs entre eux et justice entre la génération actuelle, les générations passées et les générations futures.
Les réformes engrangées réalisent ainsi une part importante du chapitre relatif aux pensions de l’accord de gouvernement, inspirée du rapport de la Commission de réforme des pensions 2020-2040 présidée par un certain… Frank Vandenbroucke. La phase ultérieure vient de s’ouvrir : il s’agit de la pension à points. Elle me tient particulièrement à cœur et c’est précisément le sujet de la note d’orientation que j’ai présentée le lundi 26 juin au Comité National des Pensions (CNP). Je me réjouis que l’administration estime désormais qu’elle peut être mise en place dès le 1er janvier 2025 (alors que l’accord de Gouvernement parle de 2030). Le système à points offre une nouvelle structure à notre régime de pension, ce qui permettra de réaliser plus facilement certains objectifs.
Premièrement, le système à points est en relation étroite avec la carrière professionnelle prestée ainsi qu’avec les revenus perçus. Il va donc permettre de renforcer le caractère assurantiel de notre régime de pension. Chaque euro cotisé doit être pris en compte pour la pension. Cette mesure correspond à notre volonté de revaloriser le travail. Deuxièmement, une convergence plus grande entre les différents régimes de pension pourra être garantie par la mise en place de règles communes aux trois régimes. Cette mesure correspond à notre volonté de rétablir l’équité dans le système des pensions. Troisièmement, le système à points va offrir une plus grande liberté aux travailleurs dans l’aménagement de leur fin de carrière. Cette flexibilité sera renforcée par la pension partielle qui est appelée à s’intégrer dans la pension à points. Cette troisième mesure correspond à une volonté de renforcer la liberté et l’autonomie du travailleur dans la gestion de son temps de travail et de sa carrière. Elle est parfaitement en phase avec la vision de la politique des pensions que je mets en œuvre.
Monsieur Vandenbroucke a peut-être oublié que, en politique, rien ne se fait facilement. Surtout quand on est animé par un projet ambitieux. Je partage néanmoins son avis lorsqu’il affirme que ce dossier est une occasion à saisir pour le mouvement syndical. Tout comme lui, j’invite les partenaires sociaux à dialoguer activement avec nous pour faire émerger ce beau projet.
Evidemment, le changement suscite de la résistance chez les conservateurs et celle-ci s’exprime souvent par l’utilisation de faux arguments. En s’engageant dans cette réforme, la Belgique garantit aux générations futures un régime de pension soutenable tant sur le plan financier que sur le plan social. Notre pays est à la pointe de l’innovation mais il n’est pas le seul. Il suit l’exemple de l’Allemagne et de la Suède qui ont déjà adopté un système à points. Avec l’arrivée du Président Macron, la France s’apprête également à mettre en place un système à points.
Je suis résolument optimiste. Confrontés à de multiples défis, les pays européens sont aujourd’hui à un tournant. La réforme des systèmes de pension en fait partie. Cette réforme fondamentale que j’ai l’honneur de conduire en Belgique est tout sauf une rhapsodie d’initiatives dénuées de sens. Ce sont autant d’étapes en direction d’un projet ambitieux, innovant et moderne imprégné en profondeur par les valeurs de travail, de justice et de liberté, un projet dont bénéficieront durablement les personnes de notre génération et celles des générations qui les suivent.
[1] Montants pour une pension minimum d’isolé avec carrière complète